mardi 21 juin 2011

Une partie de tennis ?

Enfant, il n'avait qu'un seul souvenir de son père. Ce dernier le portait sur ses épaules, c'était son premier jour d'école. Sur le chemin ils font la rencontre de leur voisin, un métayer, un des ces hommes à la peau en cuire, aux yeux pupilles, chapeau de paille sur le crane, tête basse. Bonjour mon cousin où vas tu de si bon matin ? Je conduis mon fils à l'école. Hmm c'est ton aîné ? Non c'est le cadet, j'avais du temps et puis...

Après il ne m'a rien dit. D'ailleurs cette conversation je viens de l'inventer. Son souvenir s'arrête là, son père, ses épaules, lui sur les épaules de son père. Pas d'histoire, tout à inventer. Pas d'espace autour de lui, pas même le désert aussi grand soit-il. Sa voix ? Non. Rien que lui et son père, en vertical comme un seul homme désarticulé ou droit cela dépend de l'attitude du gosse. S'il choisi que celui qui le transporte est trône ou cheval. D'ailleurs personne ne se souvient de la voix des morts, la voix des morts n'existe pas.

Un seul souvenir fixe, ses rapports avec son père s'arrête là dans ce moment de "complicité". Assez marquant pour être retenu. Un moment qui n'a rien de fugace, puisque resté auprès de lui depuis plus de 70 ans. 

Se projette t-il  70 ans en arrière lorsqu'il me raconte son histoire pour la énième fois ? Se revoit-il sur les épaules de son père le conduisant sur le chemin de l'école ? Il revoit le métayer souriant s'approchant de son père, causant, lui demandant qui est ce jeune garçon immobile se tenant au dessus de leurs têtes. Peut être ne se souvient-il plus de ce moment, il se souvient seulement d'avoir eu ce souvenir. Cet écho de son passé lointain est accroché à sa fierté. Il se répète souvent, tu radotes dit-on mais c'est important pour lui de le dire: "le seul souvenir que j'ai de mon père, c'est lorsqu'il me ramène à l'école, il me prend sur ses épaules, on rencontre notre voisin qui est métayer, il demande à mon père qui je suis, il répond c'est mon fils". Il faut qu'il se répète cela, il faut que cela se sache. Avant que sa vie ne soit foutue au feu, par une aventure non désirée, il se raccroche à cet instant parfait. Lui et son père, le voisin témoin de ce bonheur simple. 

Sur le bateau il pense encore à ça, à lui et à son père. Il regarde son cousin danser, rire aux éclats avec les autres aventuriers. Cherbourg n'est pas loin...



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